Sondage I | Therouanne

Sondage I

 

Implantation

L'emplacement du sondage I a été choisi en fonction des données de la photographie aérienne et de l'iconographie du XVIe siècle : il s'agissait d'intervenir au cœur de la « Vieille ville », certainement occupé jusqu'en 1553, pour obtenir une image de la stratigraphie se rapportant à l'abandon, à la destruction et à la dernière période d'occupation de la ville, tout en évitant de toucher à la nef de la cathédrale, qui se déploie vraisemblablement à l'ouest de l'actuelle rue Saint-Jean. En choisissant l'espace qui s'étend immédiatement au sud de l'emplacement probable de la cathédrale, on espérait en outre vérifier l'hypothèse émise par Honoré Bernard dans les années 1980 quant à l'emplacement du palais épiscopal.

La fouille y a mis en évidence l'existence d'une cave dont la voûte reposait sur des piliers hexagonaux et d'une cour qui avait abrité une activité artisanale dans la première moitié du XVIe siècle. La qualité architecturale de l'édifice et celle des éléments du décor intérieur, ainsi que la richesse du mobilier archéologique, indiquaient le haut rang de son occupant, qui contrôlait probablement en outre une activité artisanale, peut-être la fabrication de la bière.

Deux tranchées disposées en L ont été ouvertes en 1997, l'une longue de 10 m du nord au sud et large de 3,50 m (secteurs 1 et 3), l'autre longue de 6,50 m d'ouest en est et large de 3,50 m (secteur 2). En cours de fouilles, le sondage a été élargi vers le nord-est (secteurs 4 et 5) pour mettre en évidence les contours d'une fosse de spoliation et le prolongement éventuel d'une installation artisanale, ce qui lui a conféré la forme d'un carré de 10 m de côté.

 


Implantation des secteurs 1 à 5 du sondage I (la partie figurée en gris n'a pas été explorée)

 

Données stratigraphiques

La plupart des couches étudiées dans le sondage I se caractérisaient par l'abondance et la qualité du mobilier : céramique, objets métalliques, fragments de verre à vitre et sertissures de plomb, associés à un bon nombre de carreaux de pavement décorés. Les premières strates de terre meuble fouillées sous l'humus contenaient en outre des scories de métal, qui se révélèrent presque absentes au-dessous. Elles recouvraient, sur l'ensemble des secteurs, un niveau de fréquentation homogène (US 3102), qui présentait une surface horizontale, bien qu'irrégulière, composée de petites pierres et de nodules de mortier tassés dans de la terre jaunâtre ; des tessons, glaçurés au plomb ou émaillés, y étaient encastrés, avec çà et là des concentrations de charbon de bois et, au sud-est, des morceaux de bois carbonisés et des fragments de tuiles. On y a retrouvé des objets de métal, parmi lesquels figuraient une lame de couteau et un gond, et dans le secteur 5, les morceaux d'un fût de colonnette ainsi qu'une dalle de pierre marmorisée provenant d'un pavement ou d'un escalier.

 

Fragments d'un fût de colonnette et d'une dalle de pierre provenant du niveau de fréquentation 3102

 

La parcelle entourant la cathédrale, restée sans cultures, avait donc été aménagée de manière assez rudimentaire pour y faciliter la circulation ; ce niveau tardif scellait une série de remblais hétérogènes qui avaient été jetés sur les couches de démolition dans le but de les niveler et contenaient un riche matériel où figurait notamment une tuile plate décorée d'une fleur de lys en relief. La composition de l'éboulis variait d'un endroit à l'autre : la partie nord du sondage était occupée par des moellons de calcaire, de gros blocs d'enduit lissé et des tuiles à crochet ; au sud-ouest, un amas, presque stérile, de pierres et de gros morceaux de terre cuite était pris dans une terre teintée par le mortier jaune-brun caractéristique des dernières maçonneries du site ; au sud-est, un autre amoncèlement de pierres très lâche contenait de nombreux carreaux de pavement décorés, des objets de métal et de la céramique.

Ces couches d'éboulis avaient été recreusées au nord, sur une hauteur de 0,70 à 0,80 m, par une grande fosse (F 1103), sans doute destinée à récupérer des matériaux aptes au remploi. Son embouchure dessinait une sorte d'amande, longue de 3,50 m, mais ne dépassant pas 0,80 m de largeur dans la partie découverte. Elle était remplie par diverses épaisseurs de gravats renfermant surtout, au sommet, des clous et des scories de métal ainsi qu'une grande quantité d'épingles et, en profondeur, quelques monnaies, des objets métalliques et des fragments de verre. Sur le fond s'ouvrait un petit trou ovale, correspondant peut-être à l'installation d'un levier destiné à faciliter l'extraction des matériaux sélectionnés.

 

Le foyer 113 à droite au premier plan et la fosse 1103 au deuxième plan à gauche, vus depuis le sud-ouest

 

Sous l'éboulis, le sondage se divisait en trois parties bien distinctes. Au nord s'étendaient des sols correspondant à la dernière phase d'occupation de la ville, qui était interrompus par une ligne de fracture semblant indiquer l'existence d'une cave effondrée. Orientée du sud-ouest au nord-est, cette limite traversait les secteurs 1 et 4 et s'arrêtait dans le secteur 5 à l'endroit où devait aboutir un mur perpendiculaire, le mur M 109-176 mis au jour dans le secteur 2. À l'est de ce mur, qui devait constituer la paroi orientale du bâtiment correspondant à la cave, s'étendait un espace découvert.

 

La ligne de rupture correspondant à l'effondrement de la voûte d'une cave, vue depuis l'est

 

Les sols de la partie nord du sondage formaient deux ensembles. À l'ouest, un lit de tuiles prises dans du mortier, que prolongeait au sud une couche de mortier blanc homogène et compact, reposait sur des nappes de terre meuble ; celles-ci contenaient un abondant mobilier, dont des monnaies, un anneau, un fermail, des épingles et un crochet de crémaillère. Au-dessous s'étendait une surface de terre battue (US 1107), renforcée par des fragments d'ardoise posés à plat selon une technique observée ailleurs sur le site.

 

Le sol 1107 vu depuis le sud

 

Le sol 1107 était en partie recouvert par de gros blocs de calcaire taillés provenant de l'écroulement d'un édifice voisin qui, dans leur chute, avaient arraché la moitié d'un grand foyer maçonné (M 113). Dans son dernier état, ce foyer, composé de rangées parallèles de plaques de terre cuite disposées de champ dans du mortier, formait un carré de 0,80 m de côté, bordé au nord et à l'ouest par un cordon de briques. La présence, immédiatement à l'est, d'un lit de mortier semblable mais de consistance meuble, qui couvrait une surface équivalente, suggérait qu'une partie des terres cuites avaient été récupérées à cet endroit. Le foyer devait donc dessiner à l'origine un carré de 1,80 m de côté ; il était aménagé dans une large cavité peu profonde, qui avait été recreusée au nord par la fosse 1103.

 

Dessin du foyer 113

 

Autour du foyer s'étendait une aire de travail formée d'un lit de mortier très résistant dont la surface plane était traversée à intervalles réguliers par des petits canaux parallèles, larges de 16 à 25 cm et profonds d'une vingtaine de centimètres. Le travail s'y était poursuivi après la destruction de la partie orientale du foyer, comme l'attestait une grosse épaisseur de terre brûlée, mêlée à une grande quantité de cendres et de charbon de bois, et où ont été trouvés des os, des épingles et de rares scories. Le mortier, délité par endroits, reposait sur une couche de préparation constituée d'argile que des feux répétés avait rubéfiée et qui recouvrait elle-même un lit de terre noire, au niveau duquel s'ouvrait une fosse circulaire (F 1111). Les strates sous-jacentes, qui n'ont pas été fouillées mais ont été observées dans la paroi de la fosse 1111, laissaient supposer l'existence d'une installation artisanale de même type, active dans une phase précédente.

À l'emplacement de la cave, l'effondrement des maçonneries s'était déroulé en plusieurs étapes alternant avec des phases de pause durant lesquelles l'aire avait été l'objet de réaménagements provisoires. Un niveau de terre brune compactée et riche en charbon de bois, qui englobait un carreau de terre cuite intact orné d'un décor estampé et glaçuré, appartenait à l'un de ces moments de fréquentation intermédiaire. Au-dessous une surface de terre durcie, localisée dans l'angle sud-ouest du sondage, s'était formée lors d'opérations de récupération anciennes ; deux trous de poteaux de forme ovale, larges d'une trentaine de centimètres, y témoignaient de l'implantation de pièces de bois obliques pouvant correspondre à l'installation d'un treuil destiné à hisser les blocs les plus lourds jusqu'au sommet de l'éboulis.

Lorsque la voûte de la cave avait cédé, les niveaux qui la recouvraient s'étaient effondrés avec elle. Des vestiges du sol qui devait occuper le rez-de-chaussée du bâtiment ont été ainsi identifiés en deux points. Dans le secteur 1, ils étaient associés à une couche d'incendie et contenaient, outre des déchets de cuisine, de nombreux objets en métal, parmi lesquels figuraient une applique en forme d'étoile, un couteau, des fragments de vitrail avec leurs sertissures de plomb, et un carreau de pavement orné d'une fleur de lys. Dans le secteur 2, il s'agissait de nappes d'argile claire discontinues, renfermant des fragments d'ardoise et qui étaient entaillées le long de la section méridionale du sondage par une petite tranchée de spoliation large de 30 cm.

Le mur 109-176, très arasé, était construit en moellons de calcaire équarris ; il se prolongeait sans doute à l'origine jusqu'à la ligne de fracture correspondant à la paroi nord de la cave, mais l'extrémité nord en apparaissait détruite, du moins au niveau atteint par la fouille. À l'est, donc à l'extérieur du bâtiment sur cave, un chemin pavé de petites pierres plates et de morceaux de terre cuite et d'ardoise, postérieur au nivellement de la maçonnerie, mais orienté selon le même axe, correspondait aussi à une ou plusieurs des phases de pause qui avaient rythmé l'effondrement des structures ; un trou de poteau circulaire (F 171), mesurant 30 cm de diamètre pour 50 cm de profondeur et pourvu d'un avant-trou, s'ouvrait à proximité.

 

 

Le trou de poteau 171 vu depuis l'est

 

Un sondage exploratoire de 3,50 m de côté a été pratiqué dans l'angle sud-ouest de la fouille pour vérifier l'hypothèse de l'existence d'une cave. Un pilier hexagonal (M 2105) réalisé en blocs de calcaire soigneusement taillés a été partiellement dégagé sur 50 cm de hauteur, confirmant la présence, à l'origine, d'une voûte. Cependant le sol de la cave, qui se situait donc à plus de 2 m de profondeur par rapport à la surface actuelle, n'a pu être atteint.

 

Le pilier 2105 de la cave, vu depuis le sud-est

 

L'hostel et le palais

Le sondage I était implanté dans les environs immédiats du palais épiscopal : si l’on en croit l'ensemble des sources écrites et iconographiques, celui-ci s’élevait en effet au XVIe siècle devant la façade occidentale de la cathédrale qu'il obstruait et enveloppait le flanc méridional de la nef ainsi que le croisillon du transept. Sur la vue de 1539, qui représente Thérouanne depuis le sud, figure à cet endroit un groupe d’édifices plus imposants que les maisons avoisinantes, qui s'organise en deux ensembles perpendiculaires : on reconnaît au nord une chapelle devant laquelle se déploient deux bâtiments accolés, desservis du côté de la cathédrale par une tourelle d'escalier, et au sud, un corps de bâtiment allongé se terminant par une abside à pans coupés. L'ensemble est qualifié de « salle episcopale et court de l’evesque » sur le plan dressé en 1560 par les géomètres assermentés des rois de France et d’Espagne, sept ans seulement après la destruction de la ville.

 

Groupe des édifices massés au sud-ouest de la cathédrale (détail de la vue cavalière de 1539)

 

Le grand corps de logis qui se dresse à droite de la nef sur la gravure d’Anthoniszoon représentant Thérouanne vue du nord, pourrait, selon la reconstitution tentée par Honoré Bernard qui y voit une salle « synodale » (Bernard 1980b), appartenir lui aussi au groupe épiscopal : étiré en longueur, il s’élève sur deux étages et la façade occidentale en est flanquée de deux tourelles. Le plan de ces structures se lit également sur les photographies aériennes que prit Roger Agache en 1976, puis en 1979.

 

Édifice s'élevant au nord-ouest de la cathédrale (détail de la gravure d'Anthoniszoon)

 

Comme on pouvait s’y attendre, et en dépit des dénégations de Charles Quint, le cœur monumental de la ville a été le plus sévèrement touché lors de la destruction de 1553, et l’abondance des matériaux architecturaux réutilisables l’a ensuite désigné aux pilleurs. En témoigne, entre autres, la grande fosse de spoliation dans le remplissage de laquelle ont été retrouvées deux monnaies du XVIe siècle. Ces opérations de démantèlement et de récupération expliquent la stratigraphie complexe observée dans le sondage I : l’aire qui y a été explorée s’étendait en effet à côté d’un édifice qui, en raison même de la qualité de sa maçonnerie mettant en œuvre d'importants éléments architecturaux, a provoqué des dégâts considérables en s’effondrant sur les sols environnants. Les effets de cet écroulement furent aggravés par la présence d'une cave dont les voûtes, déjà ébranlées par les chocs répétés, cédèrent ensuite plus ou moins rapidement sous ce poids.

L’examen des parois de la fosse de spoliation montre cependant que la stratigraphie est bien conservée en profondeur dans la partie nord du sondage, qui ne devait être occupée que par une cour et tout au plus des structures légères. Le niveau de fréquentation tardive qui couvre toute la surface explorée prouve en outre que les couches archéologiques qu’il a scellées n’ont fait l’objet d’aucune atteinte plus récente. Cette surface de circulation fut sans doute aménagée au XVIIe ou au XVIIIe siècle par l’apport de remblais qui achevèrent de combler certaines cavités restées béantes.

Deux ensembles stratigraphiques correspondaient au-dessous à des activités ou à des phénomènes nettement différenciés. L’angle nord-ouest du sondage devait être occupé à la fin par un bâtiment de service et dans la phase précédente sans doute par un appentis : le lit de tuiles qui y a été découvert indique en effet l’existence d’un toit protégeant le sol très simple de terre battue et de mortier dont la surface était stabilisée, dans une phase antérieure, avec des fragments d'ardoise. Cette structure légère s’ouvrait sur une cour où fonctionnait une installation industrielle comparable à celle qui a été étudiée par H. Bernard au sud-ouest de la cathédrale (Bernard 1985a).

Le complexe artisanal était centré sur un grand foyer carré de 1,80 m de côté, construit selon une technique très répandue dans la région aux XIVe-XVIe siècles (elle est attestée à Saint-Omer et à Thérouanne même), et qui était flanqué au nord et à l’est d’une surface de mortier de chaux extrêmement résistante. Les petits canaux parallèles, qui la traversaient à intervalles réguliers, débouchaient peut-être dans une cavité détruite ensuite par la fosse de spoliation. L’ensemble était en effet entaillé de tous côtés, ce qui en rend l’interprétation difficile. Une installation semblable, entièrement conservée en revanche, mise au jour dans une cour du présumé quartier canonial, fournit cependant une hypothèse : on y retrouve des foyers, les rigoles d’écoulement et les traces d’un abri léger, accompagnés d’un fourneau construit en briques et de décharges de cendres. La comparaison avec le château de Penhallam, en Cornouailles, permet à H. Bernard d'identifier l'ensemble à un atelier de maltage de l’orge ; la datation qu’il propose – première moitié du XVIe siècle – correspond bien à la position stratigraphique de l’atelier du sondage I.

La fabrication de la bière était une activité qui gravitait souvent dans l'orbite d’un établissement religieux ; à Thérouanne, place-forte en état de siège presque permanent durant la première moitié du XVIe siècle, le ravitaillement de nombreux hommes d'armes était un problème crucial et les sources écrites contemporaines enseignent que les denrées indispensables à l'entretien d'une garnison étaient précisément la viande séchée et le vin ou la bière. L’aménagement de brasseries sous le contrôle des autorités de la ville, celle de l’évêque en l’occurrence et celle des chanoines, n’aurait donc rien de surprenant. Une activité métallurgique semble en revanche exclue en raison de la rareté des scories, lesquelles ont été au contraire retrouvées en abondance dans les sondages II et IV. Le nombre et le haut niveau technique des objets métalliques du sondage I doivent sans doute être imputés à la qualité de l'occupant. Quelle qu'elle fût, cette activité a cessé un peu avant l’abandon définitif de la zone, même si le foyer, endommagé et restauré, a continué seul à être utilisé.

La qualité de l’édifice qui s’élevait au nord du sondage I ne fait aucun doute et tranche nettement sur ce qui a été observé ailleurs dans la ville ; seules peuvent soutenir la comparaison la maison partiellement mise au jour dans le sondage II et les deux maisons canoniales qui sont connues, l’une par la fouille d'H. Bernard, l’autre grâce à l’exécution testamentaire de Jean de Griboval, doyen des chanoines de Thérouanne à sa mort en 1474 (Mestayer 1997). Il s’agit d’une construction où ont été mis en œuvre des briques, mais aussi de nombreux blocs soigneusement taillés dans un calcaire marmorisé, comme l'ont été aussi les entablements, corniches et fûts de colonnettes dont des morceaux erratiques ont été récupérés. Il faut imaginer, sur le modèle de quelques maisons anciennes conservées à Arras et à Saint-Omer, des parois montées en briques avec chaînages d’angle et encadrement des ouvertures en calcaire. Le liant était un mortier sableux d'une couleur jaune-brun caractéristique, qui est également employé dans le foyer et les deux autres maisons fouillées dans la ville haute de 1997 à 1999 (sondages II et III). Quelques éléments de la toiture y étaient mêlés : tuiles à crochet conservant leurs clous de fixation et tuiles décorées soit d’une glaçure colorée, soit de motifs en relief obtenus par moulage. La présence de fragments d’ardoise dans divers niveaux et couches d’éboulis témoigne d’une double utilisation de ce matériau, non seulement pour stabiliser les sols de terre battue, mais aussi pour le couvrement. D’après le testament de Jean de Griboval, « un petit paquet de bois et surtout douze cens d’ardoises ou environ » étaient entreposés dans sa maison de Saint-Omer (Mestayer 1997). Les ardoises, reconnaissables à leur couleur grise dans l’Album de Croÿ (Duvosquel 1985), y sont parfois associées à des tuiles sur un même bâtiment.

 

Tuile ornée d'une fleur de lys en relief provenant du sondage I


L’édifice représenté sur la gravure d'Anthoniszoon au nord-ouest de la cathédrale n'est pas forcément « synodal » comme le suppose H. Bernard ; il peut correspondre au pretorium construit en 1400 par l'évêque Jean Tabari ou à la salle capitulaire qui s'élevait à côté du cloître situé contre le flanc nord de la cathédrale. Si l’on s’en tient donc au groupe de constructions qui s’élève au sud-ouest de la cathédrale, les bâtiments disposés à angle droit donnent sur une cour que des dépendances achèvent de fermer et à laquelle on accède par un petit édicule servant de porche. Ce plan en L est bien attesté pour les palais épiscopaux à partir du XIIIe siècle, et on sait qu’il est aussi souvent choisi un peu partout en France pour les demeures patriciennes, comme à Toulouse où une tour s'élève à l'angle des deux ailes (A.-L. Napoleone, « Les maisons romanes de Toulouse (Haute-Garonne) », Archéologie du Midi médiéval, 6, 1988, p. 123-138). À Thérouanne même, on le reconnaît dans une maison figurée sur la vue cavalière de 1539 près de la porte sud de l'enceinte, qui présente tous les caractères d’une demeure riche. À Montpellier sont attestées en outre des maisons à corps double (B. Sournia et J.-L. Vayssettes, Montpellier : la demeure médiévale, Paris, 1991) qui pourraient correspondre aux deux corps de logis accolés du palais de Thérouanne, lequel combinerait ainsi plusieurs dispositifs.

 


Maison en L sise près de la porte sud de l'enceinte (détail de la vue cavalière de 1539)

 

La maison est un instrument de démonstration sociale où compte ce qui se voit : ainsi du développement en hauteur du bâtiment, de l’escalier externe et du décor sculpté de la façade. On connaît les avantages de l’escalier externe qui, tout en donnant plus d’indépendance à chaque pièce, est un meilleur garant de l’intimité. En général, la tourelle qui abritait la vis était logée dans un angle : tel est le cas à Thérouanne pour la maison fouillée par H. Bernard dans le présumé quartier canonial et peut-être aussi pour le palais tel qu'il est représenté sur le dessin de 1539. Il semble même que l’existence de cet élément ait suffi à caractériser l’hôtel dans les textes : ainsi de celui de Wachin, également cité dans le testament de 1474 (Mestayer 1997), qui possédait un escalier externe, bien que n’étant pour le reste ni très grand ni très riche.

La cour est un élément constamment cité dans les documents écrits, de même que le jardin. Elle semble avoir pris au moins deux formes : la première est l’enclos délimité par les dépendances et fermé par une palissade ou un mur d'enceinte, modèle qui figure sur le plan de 1539 où il est associé, par exemple près de la tour Notre-Dame, aux maisons les plus vastes et les plus riches. Le second parti est celui de la parcelle située en général à l’arrière de la maison, qui bien qu'ayant pignon sur rue semble alors plus modeste. Dans les maisons de Jean de Griboval, les chambres donnent indifféremment sur la rue ou sur le jardin. Les dépendances qui s’ouvrent sur la cour incluent l’écurie. Enfin la chapelle semble aussi un élément constitutif de l’hôtel puisque le testament de 1474 la cite tout aussi bien à Wachin qu'à Thérouanne.

 

Maison avec cour sise près de la tour Notre-Dame (détail de la vue cavalière de 1539)

 

Les fenêtres, géminées à en croire les colonnettes retrouvées en fouille, étaient fermées par des vitraux sertis de plomb. Des fragments de verre plat ont été retrouvés en grand nombre dans la plupart des couches de démolition et de remblai ; certains portent un décor peint. Une pièce appartenant à un panneau de forme arrondie a pu être reconstituée : une frise de palmettes rythmée de fleurs de lys y est peinte en lavis de grisaille sur fond coloré de sanguine. La technique et le style peuvent être attribués aux XVe-XVIe siècles, datation confirmée par la typologie des baguettes de plomb, qui ont été retrouvées tordues et collées en petits paquets sans doute en raison de l’incendie qui a dû accompagner ou suivre la prise de la ville. L’hypothèse d’un chantier lié à la reconstruction d’une partie de la cathédrale, dont témoigneraient ces déchets, ne peut cependant être totalement exclue, car on sait par les sources écrites que certains travaux y étaient encore effectués au début du XVIe siècle. Mais ce que l’on connaît du développement du vitrail civil à la même époque autorise à attribuer ces éléments au palais épiscopal. Des fragments semblables avec leurs sertissures, qui peuvent dater de la fin du XVe ou du début du XVIe siècle, ont d’ailleurs aussi été découverts dans le supposé quartier canonial. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit de matériaux fragiles, fréquemment restaurés et soumis, comme tout élément touchant au décor des demeures patriciennes, aux fluctuations de la mode.

 

Fragment de vitrail peint à la sanguine provenant du sondage I

 

Il s’agit en tout cas d’un édifice luxueusement aménagé, avec des murs revêtus d’enduits peints de noir ou de couleurs vives. Le décor peint est un autre élément caractéristique de la maison aristocratique, qui se répand au XIVe siècle à Paris, où il a été signalé dans les fouilles du Louvre ; il est bien attesté dans plusieurs autres villes, ainsi que dans l’exécution testamentaire de la fin du XVe siècle éditée par Monique Mestayer (Mestayer 1997).

 

 

Fragments d’enduit peint provenant du sondage I

 

Les carreaux de pavement constituent, avec la céramique, la catégorie de mobilier la mieux représentée sur le sondage I. Les décors en sont variés : les plus fréquents sont les glaçures monochromes de couleur vert foncé ou jaune, parfois associées à des motifs géométriques incisés ; mais les carreaux bicolores au décor estampé, qui se rattachent à la fameuse production artésienne du bas Moyen Âge, sont également nombreux. Les figures jusqu’ici identifiées sur la fouille appartiennent au bestiaire naturel : cerfs, aigles aux ailes déployées qui pouvaient entrer, comme les fleurs de lys cantonnées de points, dans les compositions héraldiques. On trouve aussi des motifs floraux, géométriques ou même figurés. Tous sont bien attestés dans les productions de la région de Saint-Omer et de l’Artois à partir du XIVe siècle.

 

Carreau de pavement glaçuré orné d’une fleur de lys provenant du sondage I